Pour une terminologie neutre, précise et respectueuse des personnes ayant un TLUO

 

Le langage, ça compte : créons un espace plus sécuritaire et moins stigmatisant. Changeons le dialogue en santé et traitons tout le monde comme des personnes.

̶̶  Towardtheheart.com, BC Centre for Disease Control [traduction libre]

La lutte contre la stigmatisation des personnes ayant un trouble lié à l’usage d’opioïdes passe par un discours public recentré sur l’aspect médical de leur condition plutôt que par un  jugement moral de leur comportement. Vancouver, épicentre de la crise des opioïdes au Canada, l’a bien compris et s’emploie ces jours-ci à renforcer un message de respect et de non jugement auprès de la population. Le message est clair : la stigmatisation entrave l’accès aux soins et on observe un lien direct entre la persistance des préjugés et le nombre de vie qu’on peut sauver.

Ce que martèlent les autorités sociosanitaires et les organismes communautaires sur le terrain trouve de plus en plus d’écho dans la littérature scientifique. En fait, la recherche n’hésite pas elle non plus à pointer du doigt, entre autres, l’utilisation d’un langage inapproprié à l’endroit des personnes ayant un trouble lié à l’usage de substances. Et ce, que ce soit intentionnellement ou non.

Autrement dit, lorsqu’il s’agit d’éliminer les obstacles à l’accès aux soins, le langage devient plus que de simples mots. Il peut littéralement ouvrir ou fermer des portes.

Adopter le person-first language

Certains mots peuvent induire des biais cognitifs implicites qui perpétuent la stigmatisation.1  D’où l’importance d’employer plutôt ce qu’on appelle person-first language. Il s’agit d’un langage neutre qui se concentre d’abord sur la personne, et ensuite sur la nature médicale de son trouble.

Créé par le BC Centre for Disease Control (BCCDC), le site towardstheheart.com diffuse de l’information sur les programmes de naloxone, d’autres mesures de réduction des méfaits, ainsi que des modules vidéo interactifs qui expliquent le comportement approprié à adopter lorsqu’on s’entretient avec une personne ayant un trouble lié à l’usage d’opioïdes (TLUO). Consacrée au remplacement des mots qui peuvent faire mal en raison de leur connotation négative, la section Language Matters (Le langage, ça compte) fait quatre recommandations :

- Utiliser un langage qui est centré sur la personne et qui ne la réduit pas à sa maladie ou à son comportement. Ce principe reconnaît que la personne se définit par bien plus.  Par exemple, utiliser personne ayant développé un trouble lié à l’utilisation de substances au lieu de toxicomane, personne dépendante ou junkie.

- Utiliser un langage qui reflète l’aspect médical du trouble lié à l’utilisation de substances pour éviter de porter un jugement moral. Par exemple, employer trouble lié à l’utilisation de substances au lieu de dépendance.

- Utiliser un langage qui facilite le traitement. Les professionnels de la santé doivent employer un langage empreint d’espoir et d’optimisme, faisant valoir les forces et les habiletés de la personne, et favorisant le traitement. Ceci, tout en respectant les choix et l’autonomie de la personne. Dans cette optique, on utilise a choisi de (ne pas)… ou n’est pas d’accord avec le plan de traitement au lieu de non motivé ou ne se conforme pas au plan de traitement. Ce langage incite à explorer les facteurs qui sous-tendent les préférences de la personne. 

- Éviter les mots empruntés au joual et les expressions idiomatiques parce qu’ils ont souvent péjoratifs. Cela s’applique autant aux écrits scientifique qu’aux entretiens entre professionnels de la santé. Par exemple, dans le cas de tests de drogues, utiliser résultats positifs ou négatifs au lieu des termes dirty ou clean.2

Du côté de l’Europe

Une attention particulière au langage est portée dans un rapport à l’intention des autorités législatives et administratives nationales en Europe afin d’éviter une crise des opioïdes comme celle qui sévit en Amérique du Nord. Dans Traitements agonistes opioïdes – Principes directeurs pour les législations et réglementations, le groupe d’experts formule quatre recommandations. Outre la prescription et remise de traitements agonistes opioïdes sans régime d’autorisation préalable, la suppression des barrières financières à l’accès aux soins et le suivi par une instance consultative nationale, les auteurs soulignent l’utilisation d’une terminologie neutre, précise et respectueuse des personnes :

« Le remplacement de substantifs qui réduisent la personne affectée à sa maladie par des désignations plus respectueuses de la personne fait partie intégrante d’autres programmes de lutte contre la stigmatisation dans le champ de la santé mentale (Clement et al, 2015; Lauber, et. al, 2006; Phillips et Shaw, 2013; Sun et al., 2014). Il a été démontré à propos des troubles du spectre autistique ou de la schizophrénie que la généralisation de termes n’impliquant pas un jugement moral diminue la discrimination et favorise l’accès aux traitements (Sartorius, 2007). 3

Loin de se limiter au cadre de l’intervention clinique, le rapport souligne l’importance d’un langage approprié, non ambigu et généralisé pour la formation professionnelle et la recherche scientifique. « Cela favorise l’émergence d’un champ de connaissance interdisciplinaire et international, qui en retour, à travers les médias, contribue à l’émergence d’un langage plus descriptif, plus neutre et plus précis par les usagers du système de soins, par les professionnels ponctuellement concernés, et finalement par le grand public. »

Un compendium de termes problématiques et de choix terminologiques suggérés par le BCCDC et le Groupe d’experts européen

Abus : usage, utilisation, usage non médical ou selon le cas, utilisation nocive, usage à risque, usage récréatif, usage occasionnel

Addiction (du latin addicere, qui renvoie à la mise en esclavage d’une personne) : Trouble lié à l’usage de substances

Clean (en faisant référence à une personne) : une personne n’utilisant pas de substances psychoactives

Clean ou dirty (en faisant référence au résultat d’un test) : résultat positif, résultat négatif

Dépendance physique : sevrage et/ou tolérance

Désintoxication, sevrage : en thérapie pour arrêt (ou réduction) de l’usage de substances; diminution progressive; traitement médical à but d’arrêt ou de réduction progressive de l’usage d’une substance

Drogue : selon le contexte, médicament/médication ou substance psychoactive

Personne dépendante : personne présentant un trouble lié à l’usage de substances

Substance illicite : substance placée sous contrôle (à noter que les termes usage ou consommation illicite de substance sont appropriés)

Substitution ou traitement de substitution : Terme à éviter puisqu’il suggère le remplacement d’une drogue de rue par une drogue d’État. Aussi, la dimension médicale du traitement risque de ne pas être comprise. Le Groupe d’experts propose les termes thérapie, traitement agoniste opioïde (TAO) ou traitement médicamenteux du syndrome de dépendance.

Toxicomane, addict,  junkie : personne présentant un trouble lié à l’usage de substances

Usager de drogue : Personne utilisant des substances psychoactives; personne utilisant des substances psychoactives par voie intraveineuse 5

 

Pour se renseigner davantage :

Language Matters (choix terminologiques à privilégier, affiche et modules vidéo interactifs), site towardtheheart.com, BC Centre for Disease Control

Traitements agonistes opioïdes – Principes directeurs pour les législations et réglementations, Groupe d’experts relatif aux conditions-cadres des traitements du syndrome de dépendance aux opioïdes intégrant la prescription de médicaments agonistes, Groupe Pompidou, Conseil de l’Europe, 2017

 

Références :

1 J.F. Kelly, R. Saitz et S.Wakeman. Language, substance use disorders, and policy: the need to reach consensus on an ʻʻAddiction-aryʼʼ.  Alcohol Treatment, Q 2016;34(1):116-23. Les auteurs sont cités par W. Scholten, O. Simon, I. Maremmani, C. Wells, J. F. Kelly, R. Hämmig et L. Radbruch, dans Access to treatment with controlled medicines rationale and recommendations for neutral, precise, and respectful language. Public Health, 2017, p. 148.

2 Adaptation et traduction libre de Change the Conversation Regarding Overdose, Reducing Stigma, Towardtheheart.com, BCCDC, et de L. M. Broyles et.al. Confronting inadvertent stigma and pejorative language in addiction scholarship: a recognition and response. Substance Abuse, 2014;35(3):217-21.

3 Les auteurs sont cités dans le rapport Traitements agonistes opioïdes – Principes directeurs pour les législations et réglementations, Groupe d’experts relatif aux conditions-cadres des traitements du syndrome de dépendance aux opioïdes intégrant la prescription de médicaments agonistes. Groupe Pompidou, Conseil de l’Europe, 2017.

4Traitements agonistes opioïdes – Principes directeurs pour les législations et réglementations, page 67.

5 Extraits et adaptation de Language Matters, towardstheheart.com, BCCDC, et de Termes problématiques, problèmes associés à leur utilisation et alternatives suggérées, dans Traitements agonistes opioïdes – Principes directeurs pour les législations et réglementations, p. 90-92, et de W. Scholten et. al., op.cit., p. 422.