Requis de service en traitement des TLUO sur l’île de Montréal : pour se hisser au rang des systèmes les plus performants au monde, il faudrait doubler le taux de desserte actuel

 

Voilà l’un des principaux constats qui se dégage d’un rapport du Programme Cran du CCSMTL et du Centre de recherche de l’hôpital Douglas rendu public à l’automne.

En 2016, le Programme Cran a confié aux chercheurs Michel Perreault et Léonie Archambault le mandat d’analyser les besoins en matière de traitement des troubles liés à l’utilisation des opioïdes (TLUO) sur le territoire de l’île de Montréal.

Les objectifs de l’étude étaient de dresser un portrait de la population; recenser l’offre de services en traitement de la dépendance aux opioïdes actuellement disponibles; identifier les pratiques courantes ou émergentes; estimer l’écart entre les besoins et les services actuels; identifier les enjeux et formuler des recommandations pour répondre aux besoins de la population ayant un TLUO.

 «C’est devenu un exercice essentiel en raison des nombreuses mutations qui s’opèrent dans la nature des substances vendues sur le marché illicite, dans la dynamique de consommation et dans l’offre de services en traitement, dit Michel Perreault. J’ai été ravi de collaborer avec le Programme Cran pour évaluer les besoins en services et aider les décideurs et les gestionnaires à prendre des décisions au niveau de la  planification et du développement. Pour nous, chercheurs, ces données aident à camper nos projets de recherche sur les besoins.»

Léonie Archambault renchérit : «Le Programme Cran est soucieux d’évaluer les services qu’il dispense. C’est dans sa mentalité, dans sa culture de recherche. En tant que partenaire, [le Centre de recherche de l’hôpital Douglas] peut saisir la portée de ces travaux. Ça nous aide à avancer dans nos recherches.»

Afin de dresser un profil de la population, les chercheurs ont eu recours aux données du Programme Cran et du réseau SurvUDI. La démarche a aussi comporté des focus groups avec des usagers ainsi qu’une enquête par questionnaire auprès de médecins dans la communauté, de gestionnaires de centres spécialisés et de pharmaciens.

On estime à 6000 le nombre de personnes ayant un TLUO sur l’île de Montréal. Au cours de l’année précédant le début des recherches à l’automne 2016, le taux de desserte pour les usagers résidant à Montréal se situait à 36 % 1. L’enjeu de l’accessibilité demeure donc central en 2017. Si les services montréalais parvenaient à doubler le nombre d’usagers rejoints, ils se classeraient parmi les systèmes les plus performants. À titre de comparaison, le taux de desserte est entre 72 % et 88 % en Suisse, alors qu’il n’est que de 10 % aux États-Unis.

En haussant le taux de desserte à 70 % sur l’île de Montréal, le nombre de personnes à traiter pour un TLUO s’élèverait à 4200 personnes. Ce chiffre se situe au-dessus des 2942 usagers qui ont reçu un traitement en 2016. Autre fait significatif : parmi les personnes traitées, près du quart provient de l’extérieur de l’île de Montréal. «On estime ainsi que 2601 patients supplémentaires devraient recevoir des services afin d’atteindre un taux de desserte de 70 % pour les résidents de Montréal tout en continuant à desservir 24 % des patients provenant de l’extérieur de l’île de Montréal», peut-on lire dans le rapport.

Au plan des caractéristiques sociodémographiques et cliniques, le rapport indique que les groupes d’âge les plus représentés parmi les personnes en traitement pour un TLUO  sont les 25-34 et 35-44 ans. Environ les deux tiers de cette population sont des hommes. De nombreux usagers vivent dans des conditions de précarité sociale et sont judiciarisés. La polyconsommation, la douleur chronique, les troubles de santé mentale et les troubles de santé physique tels que le VHC et le VIH sont répandus.

En ce qui concerne l’offre de service, les chercheurs ont consulté  quatre centres spécialisés de traitement des troubles liés à l’utilisation d’opioïdes à Montréal, où pratiquent 38 médecins prescripteurs. Entre l’automne 2015 et l’automne 2016, ces centres ont traité 2118 usagers. De ce nombre, 56 %  résidait à Montréal, 24 % provenait de l’extérieur et 20 % était sans domicile fixe.  Le délai d’attente pour le traitement variait entre moins d’une semaine et trois mois.

Dans la communauté, on dénombre 146 médecins habilités à prescrire un traitement de substitution à Montréal. Parmi ceux qui ont répondu au questionnaire et qui prescrivaient des traitements à la méthadone ou à la buprénorphine au moment de l’étude, plus du tiers pratiquent en GMF. Seulement 58 % des médecins prescripteurs répondants peuvent compter sur des services infirmiers et 48 % sur des services psychosociaux.  Les enjeux identifiés le plus souvent par les médecins répondants sont l’organisation du travail et la gestion du temps.

Sur le territoire montréalais, 140 pharmacies dispensent des traitements de méthadone et de buprénorphine-naloxone. Celles-ci sont concentrées sur le territoire du CLSC des Faubourgs. Cette situation présente des défis significatifs pour les services en périphérie du centre-ville.

Les usagers réunis en focus groups ont eux aussi mis en relief de nombreux enjeux, dont l’accessibilité et les modalités de traitement qui varient selon les régions, les cliniques, les centres de traitement, les médecins et les pharmacies.

Chez les usagers des Services Relais du Programme Cran, on a souligné le besoin d’assurer un meilleur accès en périphérie du centre-ville et dans les milieux carcéraux;  de promouvoir les services auprès des clientèles non rejointes au moyen de services de proximité; et d’établir des horaires et des privilèges plus souples.  Dans l’ensemble, les usagers ont déclaré souhaiter des services de santé globaux et la possibilité d’être encadré par une équipe interdisciplinaire. D’autres recommandations visent une aide ponctuelle et des programmes allégés (aux  modalités moins contraignantes), l’implication des pairs et l’élargissement de la pharmacopée pour permettre l’accès à d’autres molécules que la méthadone et la buprénorphine-naloxone, tel que le traitement par opioïdes injectables.

Les chercheurs rappellent que les personnes vivant dans la précarité et affichant des troubles concomitants accèdent difficilement aux soins nécessaires et il en résulte des bris dans le continuum de services. Il est donc souhaitable d’intégrer les services (par exemple, par la mise en place de corridors de services) pour permettre une prise en charge globale et assurer la continuité des soins.

La distribution géographique de l’offre de services en traitement des TLUO à Montréal peut aussi expliquer le fait qu’on peine actuellement à rejoindre certaines populations. «La comparaison entre la distribution des services médicaux et la répartition des pharmacies distributrices constitue un indice permettant d’estimer que sur certains territoires, les clientèles n’ont pas accès à des services de traitement locaux. Enfin, rappelons que 24% de la clientèle traitée sur l’île de Montréal résiderait à l’extérieur de Montréal, ce qui soulève d’importantes questions concernant l’accès au traitement dans les régions limitrophes», indique le rapport.

Le rapport appuie des mesures pour atteindre le taux de desserte visé en fonction du requis de service.  En bref, les recommandations ci-dessous pourraient servir d’appui à l’élaboration d’un plan d’action régional en matière de traitement des troubles liés à l’utilisation d’opioïdes.

Pour répondre aux enjeux liés aux caractéristiques de la clientèle :

  1. Prévoir des mécanismes d’intégration à l’intérieur des centres spécialisés afin d’offrir des services médicaux et psychosociaux globaux aux personnes souffrant de problèmes complexes;
  2. Prévoir des mécanismes d’intégration entre les centres spécialisés et les ressources de la communauté afin d’offrir une réponse complète aux problèmes complexes et transférer les clientèles stabilisées vers les médecins de la communauté;
  3. Prévoir une démarche d’évaluation de l’offre de traitement des troubles liés à l’utilisation des opioïdes en milieu carcéral et de la continuité des soins avec la communauté.

Pour répondre aux enjeux liés à l’accessibilité :

  1. Poursuivre l’outreach auprès des clientèles en situation de précarité sociale en collaboration avec les organismes impliqués dans la communauté (par exemple, les organismes de réduction des méfaits, de réinsertion et d’hébergement supervisé) afin d’améliorer l’accès aux services à bas seuil d’exigence;
  2. Prévoir des activités d’outreach visant à rejoindre les personnes ayant un trouble lié à l’utilisation de médicaments prescrits;
  3. Envisager une diversification des approches et des traitements pharmacologiques;
  4. Prévoir des mécanismes de collaboration, d’échanges et de soutien entre les médecins spécialistes en dépendance, les médecins de la communauté et les médecins spécialistes de la douleur;
  5. Favoriser une répartition des services en fonction de la répartition de la clientèle sur l’île de Montréal;
  6. Adresser la question de l’accès aux services pour les personnes résidant à l’extérieur de l’île de Montréal auprès des personnes responsables.

Par ailleurs, les auteurs du rapport estiment qu’une partie de la population «invisible» est composée d’usagers ayant développé un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes prescrits. Dans un contexte de crise des opioïdes, le rapport souligne la nécessité d’obtenir des données pour dresser les profils des différentes populations et adapter le traitement à leurs besoins distincts. À cet effet, on recommande un système de monitorage et une veille stratégique pour guider la prise de décision et la recherche.   

1 Michel Perreault et Léonie Archambault, Requis de service en matière de traitement des troubles liés à l’usage d’opioïdes sur l’île de Montréal, Centre de recherche de l’hôpital Douglas, Montréal, mars 2017, pages 71-72.