Rond-Point: Soutenir les femmes enceintes et les jeunes familles

 

Mardi, 8 h, la journée commence pour l’équipe de Rond-Point. Regroupement de professionnels issus du réseau de la santé et du milieu communautaire, Rond-Point est un carrefour de services unique en son genre pour les femmes enceintes et les jeunes familles qui vivent avec une dépendance à l’alcool, aux médicaments ou aux drogues.

Le premier arrivé sur les lieux est Georges, responsable de l’accueil. Dans le décor apparaissent peu à peu des chaises hautes. Dans le grand placard, on trouve des  bains portables, et au petit coin, un siège d’appoint. Une longue table sert tour à tour d’espace de travail pour les intervenants et de rassemblement pour les parents.

Ça bouge beaucoup à Rond-Point et l’ambiance y est conviviale, surtout le mercredi, la journée «Milieu de vie». Celle-ci comprend un repas communautaire et des activités comme le yoga, des ateliers d’art, des ateliers sur les habiletés parentales et des services d’éducatifs, pour n’en nommer que quelques-unes. On manque d’espace tant la demande pour les services augmente.

En plus d’accompagner les parents et futurs parents, Rond-Point assure le suivi des enfants de 0 à 5 ans. «C’est une phase charnière dans la vie d’un enfant. On en profite pour faire du dépistage précoce à bien des niveaux», explique le Dr Louis-Xavier D’Aoust, médecin au programme CRAN du CCSMTL et au Centre des naissances du CHUM spécialisé en périnatalité et toxicomanie.

Non seulement la clientèle de Rond-Point reçoit des soins médicaux et infirmiers ainsi que des services psychosociaux et éducatifs, mais elle découvre aussi un endroit pour tisser des liens avec d’autres parents, développer un réseau d’entraide et se forger un sentiment d’appartenance. Lorsqu’ils franchissent la porte de Rond-Point la première fois, ces parents et futurs parents sont souvent seuls, fragilisés et en grand besoin d’un accueil sans jugement et d’un environnement sécurisant.  Avec l’aide de l’équipe interdisciplinaire, ils apprennent peu à peu à se doter de moyens pour se donner une meilleure qualité de vie, à eux et à leurs enfants.

L’équipe de Rond-Point est composée d’intervenants provenant de différentes organisations : le CCSMTL (programmes Jeunesse, Protection de la jeunesse, Santé mentale et dépendance, dont le programme CRAN), les services à la famille de l’organisme Dans la rue, le programme mère-enfant de Portage, le CHUM et le Centre de pédiatrie sociale Centre-Sud.

Fonctionnant comme guichet unique de services pour les femmes enceintes et les familles qui peuvent être  à risque  de tomber entre les mailles du filet, Rond-Point doit gérer une croissance rapide de la clientèle et des besoins. En 2014, on a recensé 247 visites à Rond-Point. En 2017, ce chiffre a atteint 1514, soit une augmentation de plus de 500 %.

Parmi les personnes qui arrivent à Rond-Point, nombreuses sont celles dont le bagage comporte un trouble de l’usage des opioïdes (TLUO), actuel ou passé. Sur un total de 72 grossesses suivies entre 2015 et 2017, 40  – soit plus de la moitié  ̶  étaient accompagnées d’un traitement de la dépendance aux opioïdes. Près de 30 % des parents qui utilisent les services de Rond-Point vivent un TLUO.

Le contexte actuel de crise des opioïdes au Québec présente une opportunité de contrer l’isolement et la méfiance de certaines familles à l’égard d’institutions qui sont souvent rapides à juger. Les sentiments de honte et de culpabilité peuvent empêcher ces personnes d’aller chercher de l’aide. C’est ici qu’intervient Rond-Point par son approche de réduction de méfaits dans un contexte de périnatalité et parentalité. Par l’entremise du service périnatalité et parentalité du programme CRAN, Rond-Point dispense le traitement de la dépendance aux opioïdes. Nicole Mongeau, infirmière, Anne-Marie Mecteau, intervenante psychosociale, et les Drs Louis-Xavier D’Aoust et Sarah McConnell-Legault forment l’équipe traitante des parents en TDO.

Le principe d’intervention de Rond-Point est de s’attarder autant à la parentalité qu’à la dépendance. Plusieurs facteurs au-delà de la consommation peuvent interférer avec les habiletés parentales. La maternité est un catalyseur de changement et fournit une belle occasion de mettre en place des leviers d’intervention pour assurer le bien-être de la mère, de l’enfant et de la famille et favoriser l’apprentissage de la parentalité. Les acquis sont inestimables, autant pour les parents que pour la société. «Ce sont les petites choses qui font toute la différence», fait observer Isabelle Risler, coordonnatrice de Rond-Point.

En plus des soins obstétriques et de périnatalité, le soutien psychosocial aux futures et nouvelles mères s’avère crucial.

Prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin de son enfant, décoder le comportement de ce nouveau petit être, socialiser avec d’autres parents : tout cela s’apprend. Les services doivent être à la hauteur : des soins de qualité dispensés par une équipe interdisciplinaire, des ateliers pour approfondir les habiletés parentales, des activités stimulantes pour les enfants, du répit pour les mères et les pères, du réseautage et de l’intégration sociale. Dans une ambiance joyeuse, on dénote beaucoup de volonté et de sérieux. Le personnel compétent et engagé incite les parents à s’impliquer, et ça fonctionne, simplement et organiquement.

Inspiré du programme Breaking the Cycle, à Toronto, Rond-Point démontre le bien-fondé de services dispensés sous un même toit pour répondre aux besoins des femmes enceintes et des familles vulnérables. Puisque ce regroupement fonctionne par prêts de services, le financement nécessaire n’est pas élevé. La gamme de services rendus ainsi possibles comprend les soins médicaux (obstétrique, périnatalité, parentalité, développement des enfants et traitement de la dépendance aux opioïdes), les soins infirmiers, l’intervention psychosociale, le développement des aptitudes de vie, la stimulation précoce et les services de santé nutritionnelle prénatale. La clinique, qui fonctionne avec ou sans rendez-vous, est ouverte de 1 à 2 jours par semaine, et une journée additionnelle est consacrée aux activités de milieu de vie.

Rond-Point, c’est aussi l’occasion de donner l’heure juste sur des mythes persistants qui entourent la grossesse et le traitement de la dépendance aux opioïdes. Parmi ceux-ci, l’idée préconçue que la consommation de méthadone ou de buprénorphine pendant la grossesse soit plus nocive que la consommation d’alcool. En réalité, l’alcool est un agent tératogène reconnu qui peut entraîner un développement anormal de l’embryon et causer des malformations. Mal fondées aussi, les craintes en matière d’allaitement. Allaiter son enfant est hautement conseillé, puisqu’il procure un contact peau à peau et permet aux petites quantités de méthadone ou de buprénorphine qui se trouvent dans le lait maternel de diminuer les symptômes de sevrage néonatal. Des nouveau-nés peuvent aussi avoir besoin de sirop de morphine pour alléger leurs symptômes, et cette médication est très efficace.

Soins, accompagnement, information : la petite équipe de Rond-Point en fait déjà beaucoup, mais elle souhaiterait desservir un plus grand nombre de femmes enceintes et de familles. Isabelle Risler rêve à un programme de cinq jours par semaine et à des locaux plus spacieux, dans un rez-de-chaussée. Nicole Mongeau et Anne-Marie Mecteau aimeraient avoir plus de temps à consacrer à la clientèle. Le Dr D'Aoust, quant à lui, espère voir plus de recherches sur les multiples facteurs qui influencent la santé des femmes enceintes et de leurs nouveau-nés. Mais pour le moment, l'équipe souhaite surtout pouvoir maintenir et consolider les acquis. On pense ici à la pérennité des partenaires et des ressources impliquées. À titre d’exemple, Logis Phare, ressource d’hébergement semi-supervisée, qui joue un rôle indispensable auprès des familles dont un parent suit un traitement de la dépendance aux opioïdes.

Espérons que tous ces rêves se concrétisent!

Pour communiquer avec Rond-Point :

Madame Isabelle Risler
Coordonnatrice, Rond-Point
Téléphone : 438 386-4050 poste 3 ou 514 507-9907 poste 8

Pour en savoir plus sur la grossesse et la consommation d’opioïdes :

La prise en charge des nouveau-nés dont la mère a pris des opioïdes pendant la grossesse, T. Lacaze-Masmonteil, P. O’Flaherty, Société canadienne de pédiatrie, Comité d’étude du foetus et du nouveau-né, Paediatr Child Health 2018, 23(3):227–233

https://www.cps.ca/fr/documents/position/opioides-pendant-la-grossesse

Clinical Guidance for Treating Pregnant and Parenting Women with Opioid Use Disorder and Their Infants, Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMSHA), 2018

https://store.samhsa.gov/shin/content//SMA18-5054c/SMA18-5054.pdf