Regard sur les nouvelles lignes directrices canadiennes en matière de prise en charge clinique des troubles liés à l’usage d’opioïdes

 

À l’occasion du Midi conférence organisé par le programme CRAN le 25 avril dernier, la Dre Julie Bruneau a présenté les nouvelles lignes directrices pancanadiennes pour le traitement des troubles liés à l’usage d’opioïdes (TLUO). Chef du département de médecine générale du CHUM, la Dre Bruneau est aussi chercheuse principale désignée du pôle Québec-Atlantique de l’Initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances (ICRAS).

C’est ce consortium national de recherche interventionnelle sur la consommation de substances, chapeauté par les Instituts de recherche en santé du Canada et composé de quatre pôles répartis à travers le Canada (Québec-Atlantique, Ontario, Prairies et Colombie-Britannique), qui a élaboré les lignes directrices. Publiées le 5 mars 2018, celles-ci constituent un outil de référence détaillé pour les médecins, les pharmaciens et les autres professionnels de la santé qui sont appelés à gérer et à traiter les TLUO. Les lignes directrices de l’ICRAS s’appliquent aux adultes et aux adolescents souffrant de TLUO modérés ou sévères selon les critères diagnostiques du DSM-5.

D’entrée de jeu, la Dre Bruneau a rappelé que le nombre de surdoses mortelles liées aux opioïdes continue d’augmenter au pays, passant de 2900 décès en 2016 à plus de 4000 en 2017. Le nombre de décès liés aux opioïdes surpasse maintenant le nombre de décès liés aux accidents de voiture et le nombre d’homicides — réunis— au Canada. « Même si les médecins du Québec prescrivent moins d’opioïdes que les médecins ailleurs au pays, la situation est tout de même préoccupante. Il ne faut pas oublier que les épidémies de drogue sont de nature plus complexe que les épidémies de virus », explique la conférencière.  

Un enjeu crucial est l’accessibilité des traitements. « Un problème avec des conséquences aussi graves que la crise des opioïdes devrait être confronté avec un accès immédiat au traitement », insiste la Dre Bruneau, ajoutant que « qu’il serait impensable, pour toute autre maladie, de laisser partir un patient de l’urgence sans suivi alors qu’il vient de frôler la mort et qu’un traitement efficace est disponible. »  Heureusement, les attitudes sociétales changent.  « Le discours sur la décriminalisation est maintenant beaucoup plus présent et accepté comme une alternative possible », poursuit-elle, notant qu’il y a « une grande différence avec le ton d’il y a 5 ou 10 ans, le site de l’Organisation mondiale de la santé en faisant foi ». 

L’objectif des lignes directrices est de fournir un outil éducatif et des recommandations sur la pratique en milieu clinique du traitement des TLUO pour professionnels du domaine de la santé. Ces lignes directrices ont aussi pour but d’étayer les discussions et les collaborations à venir sur la planification des politiques et des programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux.

Fondées sur les données probantes, les nouvelles lignes directrices abordent les différentes options de traitement de première et seconde ligne, les traitements complémentaires ou alternatifs, ainsi que les stratégies complémentaires de réduction des méfaits. Notamment, on estime qu’il faut éviter un sevrage rapide puisqu’il mène à un taux plus élevé de rechute et de mortalité, particulièrement en région. En outre, le traitement doit être adapté à la personne et s’inscrire dans une approche de réduction des méfaits.

En bref, voici les 11 recommandations des lignes directrices de l’ICRAS pour un traitement optimal des TLUO :

  • Amorcer un traitement par agonistes opioïdes (TAO) avec la buprénorphine-naloxone, si possible, afin de réduire le risque de toxicité, de morbidité et de mortalité, et pour faciliter une prise plus sécuritaire des doses sans supervision/à emporter. 
  • Dans le cas où la buprénorphine-naloxone est peu ou partiellement efficace, envisager une transition vers un traitement avec la méthadone.
  • Commencer un TAO avec la méthadone lorsque le traitement au moyen de la buprénorphine-naloxone n’est pas l’option de choix. 
  • Dans le cas des personnes stables avec la méthadone qui expriment le désir d’adopter un traitement plus simple, évaluer la possibilité d’effectuer une transition vers la buprénorphine-naloxone, puisque son profil d’innocuité supérieur permet de profiter davantage des doses à emporter sans supervision et de diminuer la fréquence des rendez-vous médicaux.
  • Dans le cas des patients pour qui les options de traitement de première et de deuxièmont ligne sont inefficaces ou contre-indiquées, il est possible d’envisager le TAO avec la morphine orale à libération lente (prescrite au départ en doses quotidiennes supervisées). Ce traitement ne devrait être prescrit que suite à une consultation avec un praticien expert en TAO avec la morphine orale à libération lente.
  • Éviter de proposer la prise en charge du sevrage isolément (p.ex., la désintoxication sans transition immédiate vers un traitement à long terme de la dépendance), car cette méthode a été associée à un taux élevé de récidive, de morbidité et de mortalité.
  • Lorsque la prise en charge du sevrage (sans transition vers un TAO) est adoptée, effectuer une diminution lente de la dose d’agoniste opioïde sous supervision (>1 mois) (chez les patients en consultation externe ou en établissement de traitement) plutôt qu’une diminution rapide de la dose (<1 semaine). Pendant la prise en charge du sevrage à l’aide d’agonistes opioïdes, les patients devraient effectuer une transition vers un traitement à long terme de la dépendance afin d’éviter les récidives et les risques pour la santé qui y sont associés.
  • Dans le cas des patients stables sous TAO, dont le traitement fonctionne, et qui souhaitent le terminer (p. ex., veulent cesser la prise de médicaments), évaluer la possibilité d’effectuer une diminution progressive de la dose (échelonnée sur plusieurs mois, voire des années, selon le patient). Des soins continus de la dépendance devraient être offerts dès que le patient cesse complètement toute consommation d’opioïdes.
  • Proposer systématiquement des traitements et interventions psychosociales et d’accompagnement, sans qu’ils soient perçus comme conditionnels ou obligatoires à l’accès au TAO. 
  • Si le patient cesse complètement de consommer des opioïdes, considérer la prise de naltrexone comme traitement complémentaire.
  • Dans le cadre des soins de base des TLUO, de l’information et une orientation vers les programmes de naloxone sans supervision/à emporter, les services de réduction des méfaits (p. ex., distribution de matériel stérile de consommation) et autres services et soins de santé disponibles, devraient être offerts systématiquement aux patients.

On peut consulter le document intégral des Lignes directrices canadiennes sur le site du journal de l’Association médicale canadienne. La version française débute à la page 134.  http://www.cmaj.ca/content/cmaj/suppl/2018/02/27/190.9.E247.DC1/170958-guide-1-at.pdf